Au Luxembourg
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L’idée était d’arriver en Angleterre en s’arrêtant en Lorraine, une région de l’est de la France et à la frontière du Luxembourg. L’un d’entre nous, Pinuccio, était déjà établi en Lorraine et nous soutiendrait pour le reste du voyage. Je n’oublierai jamais la gentillesse et l’hospitalité des gens de cette région, la plupart étaient des immigrés polonais ou italiens et tout le monde nous voulait, nous étions si bien que nous avons décidé de prolonger notre escale. Malheureusement, le 1974 a été l’année du premier choc pétrolier, et les industries du fer dans lesquelles Pinuccio travaillait n’embauchaient plus d’étrangers.
Je traversais donc la frontière avec le Luxembourg et me présentais à une entreprise de construction au nom italien. « Nous avons besoin d’un géomètre parce que chaque fois que nous commandons les marbres de l’Italie ceux-ci viennent, mais les mesures sont erronées ». Voilà, un emploi est trouvé, mais il faut habiter au Luxembourg et je ne parle pas un mot de Français. donc je suis à la recherche d’une solution, mais après deux semaines toujours rien. J’ai au téléphone le propriétaire de l’entreprise qui honnêtement me dit - soit vous commencez à travailler soit j’embauche quelqu’un d’autre - C’est tout ok, je peux commencer le lundi, - je réponds. Et maintenant comment je fais ? Samedi soir pour changer nos idées, d’autres Polonais nous invitent à une soirée dansante sous chapiteau, avec petite orchestre Valse, Tango, Rock and roll, Paso Doble etc. Ce soir-là a été un point crucial dans ma vie, j’ai rencontré ma première femme, nous nous sommes vus de loin, elle 1,81 moi 1,85 et nous avons dansé pendant 10 ans ayant deux filles qui m’ont donné et ils me donnent juste des joies. A côté de cela, un de ses amis m’annonce qu’il habite près de la gare de Thionville et que si je veux, je peux dormir chez lui avant de prendre le train, je peux, juste un problème, le train part à 4h50, je vais devoir me lever à 3h45, ok je dis. Pinuccio me prête de l’argent pour le train, "les jeux sont faits" ou presque.
Ma journée typique : réveille à 3h45 en arrivant en gare de Luxembourg à 4h15 je dors sur les bancs avec les SDF (la police nous dégageait, mais quand elle partait, nous retournions) jusqu’à 6h du matin, je me rends au siège de l’entreprise d’où un minibus qui part à 6h30 nous emmène sur le chantier pour commencer la journée à 7h. Il se termine à 18 heures, le bus nous ramène au siège et de je cour pour me placer à la sortie de la ville, capter le flux de voitures qui reviennent en France, et revenir en auto-stop. Je dois me placer à un moment précis, si non le flux n’est plus là, à ce moment-là il n’y a plus de trains, donc je cours. Je me vois encore courir et penser – si je n’étais pas entraîné comme je suis, comment pourrais-je le supporter ? -
Courir fait partie de moi, j’ai toujours couru, depuis que je suis enfant mon grand-père m’amenait aux jardins publics, ou au jardin botanique et quand nous rentrions à la maison, au "Château", le vieux quartier de Cagliari, il me disait - cours, cours Graziano, jusqu’à ce que tu deviennes rouge - et j’ai couru. Quand nous sommes allés à l’école pour géomètres, à l’époque dans le Viale Colombo nous nous rencontrions tous au pont Vittorio, j’habitais au quartier La Palma à l’époque, on partait en marche rapide à l’école, et chaque jour la marche se transformait en course, il y avait Battista Elio Roberto Giampiero etc.
Un jour, le professeur d’éducation physique nous dit - les gars vous devez faire les sélections pour le championnat de cross -. On prend le départ et je cours, à un moment donné je me retourne, plus personne.
Je ne me souviens pas qui c’était, mais quelqu’un m’a inscrit au club sportif Esperia, et là j'ai trouvé des gens qui courraient vraiment, je me suis lié d'amitié avec certains d’entre eux, Piero, Enrico, Rinaldo, et ensemble, nous avons avalé des kilomètres et tous les matins on refaisait le monde, en particulier Piero qui, soit dit en passant possède encore aujourd'hui quelques records sardes de demi-fond, en plus d’être un peintre de talent et d’imagination.
Quelles belles séances d’entraînement, puis sont venues les courses, d’abord ils nous ont séparés par catégories, puis, les plus rapides étaient devant, les moins rapides étaient derrière, bref on n’était plus ensemble, je n’étais plus avec mes amis. Je déteste les courses, je déteste la compétition...
Tout cela pour placer la course dans ma vie, mais revenons au Luxembourg et à mes journées marathon. Parfois, l’auto-stop ne fonctionne pas si bien, et il m’est arrivé de rentrer à 22 h, pour me préparer à manger et me réveiller à 3 h 45.
Sur les chantiers, j’ai commencé à apprendre à travailler et j’ai pu apprécier la solidarité des autres travailleurs, en particulier des Portugais, je ne sais pas si j'aurais réussi sans leur aide. Au fil du temps, ma place s’est affirmée dans l’entreprise, surtout avec l’arrivée d’un ingénieur italien, Ettore qui a été mon mentor, m’a appris à travailler et m’a toujours fait confier des tâches plus importantes. Après deux ans, le désir de reprendre la route m’a repris, j’étais prêt à partir pour le Gabon, une entreprise Française était à la recherche d’un jeune contremaître pour la construction de maisons, j’en ai parlé avec mon patron, et lui, il a doublé mon salaire pour que je reste, avec de nouvelles responsabilités. Au revoir le Gabon, j’ai renoncé, même si Tarzan, un de mes héros préférés, y est né. Après deux ans au Luxembourg, il y a eu un événement majeur dans ma vie, la naissance de Christèle, et c’était le coup de foudre, la plus belle expérience et la plus belle aventure de ma vie.
J’ai réussi à rester deux ans de plus à Luxembourg, puis le désir de repartir est revenu frapper à ma porte, et cette fois c’était la grande aventure.
Comment trouver une place à l’étranger (hors Europe) ? J’ai lu l’un des principaux journaux belges, « Le Soir » et j’ai vu qu’ils cherchaient des chefs de chantiers pour terrassements. Je me suis présenté, ils m’ont fait passer un examen, dessiner le ferraillage d’une poutre et calculer la quantité de fer dans un plan de ferraillage. Quand j’ai passé l'entretien, ils m’ont dit que pour l’Afrique, je n'aurais pas été un bon contremaître, parce que là-bas un chef de chantier doit savoir tout faire, même conduire des engins de chantier. Au lieu de cela, ils m’embaucheraient comme topographe et de faire les métrés