Solidarité du Trailer
« Vous avancez plus vite que moi ! », petite phrase articulée d’une voie neutre : c’est le constat sans appel d’un coureur en difficulté que je m’apprête à doubler. Endurante mais lente, mes amis me surnomment Duracel : c’est dire que ces mots surprennent une lanterne rouge !
Dans le magnifique écrin d’une nature escarpée, nous participons à un trail estival : chaleur et dénivelés au programme des fondus de sport-nature.
Je parviens à sa hauteur : Il est en souffrance. Son dossard indique qu’il court le 107 km, autant dire un superman ! Mes jambes crient leurs premières douleurs. Lui est parti à minuit et avance sur le parcours depuis 15h d’affilées. Il nous reste l’un et l’autre 10 km à parcourir pour faire vibrer nos puces. Seule différence : j’ai pris le départ à 10h30 pour un 25 km : ambition raisonnable pour mon premier trail ! … Il titube entre deux vomissements. Sans commentaire superflu, dans une complicité implicite, nous marchons pour « ne pas lâcher » sur le chemin pentu.
Son visage verdit comme la nature environnante. Je lui propose eau, pain, chocolat …. Ma crainte du manque, devant des ravitos dévastés pour les toujours-derniers-de-cordée-comme-moi, me transforme en épicerie ambulante à chaque sortie longue !
Il refuse car « rien ne passe ». Il semble en situation d’abandon même si ce mot ne s’intègre, ni dans son vocabulaire, ni dans son mental d’ultra-traileur chevronné. Il accepte d’emprunter l’un de mes bâtons de rando, qui l’aide à maintenir son équilibre. Il résiste sur ses jambes raidies par la souffrance.
Peu de mots partagés pour ne pas s’essouffler, rester concentrés et ne pas briser le silence de la forêt qui reçoit de premières gouttes. Il est grand et sec. Ses chaussettes de contention et son 46 fillette son constellés de boue.
Sa détresse m’émeut. Il ne mesure pas le cadeau qu’il m’offre de tracer ces km solidaires. Nos courtes phrases suffisent à partager notre entraide, reprendre force et courage et se convaincre d’une possible remise en jambes. Au fil des obstacles, il m’incite à allonger ma propre foulée pour suivre son rythme.
Le village surgit en contre bas. Mon partenaire me tend mon bâton pour reprendre sa course. Deux mots pour me remercier. Deux pas pour reprendre son allure. Le dos de son grand gabarit se remet en route vers la longue descente et disparaît au premier virage. J’imagine sa fatigue surmontée et sa peur d’abandon disparue. Il s’envole vers la fierté d’avoir vaincu ses difficultés. J’imagine les applaudissements à son arrivée qu’il mérite tant ! Sait il qu’il m’a offert une belle leçon de courage et de solidarité ?
J’ai terminé ma route en contemplant le chant des oiseaux et le bruit des torrents, dopée par ce partage gravé dans ma mémoire. De son expérience, j’ai compris l’abnégation et la détermination nécessaires sur de telles épreuves pédestres. L’humilité côtoie la force, le mental porte le corps. Voici près de 20 ans que cette leçon de vie guide mes pas à chaque épreuve longue. Merci à mon inconnu.